Enchère le 12 novembre - Jean Honoré FRAGONARD

LOT n°42
Jean Honoré FRAGONARD (Grasse 1732 - Paris 1806)
Couple de bergers dans une étable
Toile 48 x 58,5 cm

Adjugé : 310 000  € (frais compris) 



Provenance:
Collection François Martial Marcille, Paris;
Collection Eudoxe Marcille (1814 - 1890), Paris;
Toujours resté dans la famille.

Exposition: J. H. Fragonard e. H. Robert a Roma, Rome, Académie de France, Villa Medicis, 1990-1991, n° 14, reproduit. Bibliographie: Baron R. Portalis, Honoré Fragonard sa vie et son oeuvre, Paris, 1889, p. 274 (Conversation galante entre berger et bergère dans une ferme, sans indication de dimensions); J. P. Cuzin, Jean Honoré Fragonard. Vie et oeuvre. Catalogue complet des peintures, Fribourg, 1987, n° 80, reproduit en couleur fig. 69, cité p. 251 sous la note 36; Catalogue de l'exposition Fragonard, Paris, Galerie nationales du Grand Palais et New York, The Metropolitan Museum, 1987-1988, reproduit p. 64, fig. 7; J. P. Cuzin, « Fragonard, multiple et cohérent », dans Connaissance des Arts, 1987, n° 427, pp. 38-40, reproduit en couleur; P. Rosenberg, Tout l'oeuvre peint de Fragonard, Paris, 1989, n° 64, reproduit;

OEuvre majeure du début de la carrière de Fragonard peinte pendant le séjour romain de l'artiste, vers 1758-1759, notre tableau provient de la célèbre collection de François Marcille (1790-1856), qui fut, avec son ami le docteur Louis La Caze, le plus grand collectionneur du XVIIIème siècle français. Parmi les quatre mille six cent tableaux réunis tout au long de sa vie, les trente Chardin et les vingt-cinq Fragonard brillent comme des diamants.

C'est en 1756, après avoir gagné le Prix de Rome en 1752, que Fragonard atteignit la ville éternelle. Après six ans de collaboration avec François Boucher, Fragonard y découvre grâce à Natoire et à Hubert Robert, les grands maîtres du passé et la beauté de la campagne romaine. Le soleil de l'Italie lui fera découvrir la beauté de la couleur et la puissance de la touche, deux des caractéristiques de son futur style.Notre tableau est un des derniers hommages du jeune Fragonard à son maître François Boucher. Le sujet de deux jeunes bergers et le mouvement circulaire rappellent La Musette que François Boucher peint en 1753 (Toile, 88 x 115 cm aujourd'hui déposée au Mobilier National; reproduit fig. 1).

Fragonard reprend ici en l'inversant la pastorale de son maître étudiée dans son atelier. Même le boeuf à droite et l'âne à gauche sont des reprises des animaux des tableaux de fermes et de campagnes de Boucher. Après un passage dans l'atelier de Chardin, Fragonard entre dans l'atelier de François Boucher vers 1749 ou 1750. C'est ce dernier, peintre de la Pompadour, au sommet de sa célébrité, qui pousse le jeune et brillant élève à concourir pour le Prix de Rome en 1752 outrepassant le règlement de l'Académie royale. Avec Jeroboam sacrifiant aux idoles (Paris, EnsBA), Fragonard remporte le prix. Il part à Rome en 1756, après trois ans passés à l'École des Elèves protégés sous la direction de Carle van Loo au cours desquelles il réalise des oeuvres décoratives, comme celles pour l'Hôtel Matignon, sur les thèmes des Bergeries, des Jardiniers et des Jardinières, suivant les conseils de Carle Van Loo et de François Boucher. Notre tableau est une de ses premières peintures lorsqu'il arrive à Rome comme pensionnaire à l'Académie de France au Palais Mancini, sous la direction de Charles Joseph Natoire. En marge de sa formation, des copies des maîtres italiens et flamands et des travaux académiques, Fragonard réalise des tableaux qui donnent à Natoire de grandes espérances dans l'avenir du jeune peintre. Il offre à son directeur deux pendants, La Guerre et La Paix (paire de toiles, 38 x 46 cm dans une collection privée) dont « les contrastes d'ombre et de lumière très forts, avec des contre jours, dramatisent l'effet et empêchent de les considérer comme de simples tableaux décoratifs [...]

C'est un bon témoignage, dans un style de sujet bien particulier, des recherches du Fragonard romain ». Fragonard développe en effet à Rome un art personnel, une manière de peindre qui atteste d'un style pittoresque nouveau. Dans ses petits tableaux qu'il réalise entre 1756 et 1761, Fragonard est inspiré de la réalité quotidienne et de la vie populaire de la campagne. C'est au cours de sa formation à Rome que Fragonard s'éloigne de l'art de Boucher en abandonnant les « effets aimables et un peu trop doux, le coloris presque fade ». Fragonard livre des tableaux plus construits, brossés avec énergie, « solidement contrastés de lumière et d'ombre, dans une touche plus drue ». Sans renoncer encore aux types de figures inspirées par Boucher, ses couleurs se révèlent plus brunes et sa lumière plus chaude. Dans ses tableaux, il n'y a pas de dessin. Fragonard développe une technique de peinture rapide dite du « Fa presto » qui est un ensemble de touches libres, grasses et spontanées, dont l'épaisseur capte et accroche la lumière. L'angle du muret exactement au centre du tableau est lumineux. La touche apparente du pinceau fait vibrer la scène en lui donnant une bouffée de jeunesse. Les touches blanches esquissent d'un simple trait l'envol des colombes et participent à la formation de la composition circulaire et à la personnification du temps de l'amour. C'est brillant de facilité. Cette scène pittoresque avec deux petits personnages au premier plan baignés d'une lumière dorée et d'un coloris brun-rougeâtre, se retrouve dans d'autres tableaux de Fragonard peints à la même époque et qui forment un ensemble cohérent de scènes de rues de Rome, d'intérieurs et de paysages pastoraux: Jeune femme préparant une lessive (Toile, 54 x 68 cm, dans une collection particulière), Jeune fille puisant de l'eau à une fontaine, dit aussi Les Dindons (Toile, 48 x 60 cm, dans une collection privée), Deux enfants jouant dans un intérieur ou Le cachecache et Les blanchisseuses à la fontaine (Paire de toiles, 49 x 62 cm dans des collections privées). Dans ces tableaux de la fin des années 1750, Fragonard révèle sa formation artistique: le feuillage roux en haut à gauche donne au tableau un petit côté watteauesque. Les effets lumineux et le geste expressif révèlent toute la profondeur et l'importance de telles pochades qui trouvent rapidement des amateurs à Rome. L'ambassadeur de l'ordre de Malte, le bailli de Breteuil, possède dans sa collection à Rome le Baiser gagné, dit aussi l'Enjeu perdu (Toile, 48 x 63 cm conservé au Metropolitan Museum de New York). L'Abbé de Saint Non, qui fréquente la maison du bailli de Breteuil, invite Fragonard à la Villa d'Este à Tivoli et ensemble, ils rentrent à Paris en 1761. On proposera ici une datation vers 1758.

CE LOT EST PRÉSENTÉ PAR LA MAISON DE VENTES BINOCHE ET GIQUELLO EXPERTISE: RENÉ MILLET